La présente proposition de communication s'inscrit prioritairement dans le thème 2 sur les « minorisations et inégalités » entre les langues et les locuteurs mais aussi dans le thème 3 sur les catégorisations linguistiques.
Cette intervention vise à interroger la comptabilisation de la diversité linguistique à partir des recensements et enquêtes statistiques. En effet, rendre compte du paysage linguistique de la France ou encore d'une « urgence linguistique » pour certaines variétés peut conduire à adopter une perspective quantitative pour questionner le nombre de langues en présence sur le territoire, l'évolution numérique de ces langues et des locuteurs qui les parlent, ou encore, de s'intéresser aux profils sociodémographiques de ceux-ci.
En cela mon propos se déclinera en trois temps. Je reviendrai tout d'abord sur l'enquête Famille de 1999 (Insee – Ined), appareillée au recensement de la population et qui proposait pour la première fois au niveau national d'aborder la question de la transmission familiale des langues entre parents et enfants. Responsable du volet linguistique de cette vaste enquête menée auprès de 360 000 adultes (xxx), je montrerai comment la codification des réponses conduit à produire des catégories linguistiques, c'est-à-dire à procéder à des découpages. Que met-on « en équivalence » et que cherche- t-on à évaluer dans ces enquêtes ? Il s'agit en cela de s'interroger sur le caractère « réel » et « construit » des statistiques (Desrosières, 2001). Étudier les usages et conditions d'émergence de certaines catégories statistiques ou nomenclatures constitue une démarche réflexive nécessaire en sciences sociales car elle tend à rendre visible les techniques gouvernementales, l'ordre social mis en œuvre dans les institutions (Desrosières, 2000 et 2008 ; Mespoulet, 2017). Selon les approches plus ou moins politiques et selon les découpages disciplinaires (statistique, linguistique, démographie, sociologie etc.) les objectifs de cette mesure varient, et inciteront à privilégier un mode de comptabilisation de ces langues (uniquement les langues d'immigration par exemple en considérant que l'usage du français et / ou d'autres langues est un indicateur de l'intégration des migrants).
Concrètement, j'expliciterai à partir de quels critères les regroupements d'intitulés de langues nommées par les répondants ont été effectués dans l'enquête Famille. Je présenterai ensuite les principaux apports mais aussi les limites de cette enquête qui nous ont conduits à proposer quelques modifications pour la prochaine enquête prévue en 2025 et actuellement en cours de test. Ce faisant, je terminerai ma communication en présentant le questionnaire à venir et les nombreuses analyses démolinguistiques qui pourront dès lors être menées en espérant susciter l'intérêt des collègues dans l'exploitation de cette vaste enquête.
En partant de l'exemple de l'enquête Famille, nous pourrons analyser la fabrication et l'usage des chiffres en sciences sociales et revenir sur les différentes étapes conduisant à la production d'une mesure en discutant les tensions existant entre perspectives nominaliste, réaliste ou constructiviste.
Bibliographie (1 référence supprimée et anonymisée)
DESROSIÈRES Alain, 2000, La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte « Poche ».
DESROSIÈRES Alain, 2001, « Entre réalisme métrologique et conventions d'équivalence : les ambiguïtés de la sociologie quantitative », Genèses, 43, juin 2001, Belin, Paris, pp. 112-127.
DESROSIÈRES Alain, 2008, Gouverner par les nombres. L'argument statistique, Paris, Presses de l'Ecole des Mines.
LEFÈVRE Cécile et FILHON Alexandra (dir.) Histoires de familles, histoires familiales : les résultats de l'enquête Famille de 1999 - Paris : Ined, Les Cahiers de l'Ined ; 156
MESPOULET Martine (dir.), 2017, Quantifier les territoires, Des chiffres pour l'action publique territoriale, Rennes, PUR.