Langues régionales, d’Outre-mer et minor(is)ées : quelles urgences linguistiques ? Colloque international 9-10-11 octobre 2024 Maison de l’Université, Université de Rouen Normandie (Campus Mont-Saint-Aignan) Appel à communication Le présent colloque propose de réunir des chercheurs s’intéressant à la valorisation de la diversité linguistique, et invite à travailler sur la question des urgences linguistiques (délibérément au pluriel) – que l’on pourra interroger comme un effet collatéral du changement climatique que nous traversons (Dotte, 2023). Si l’on parle déjà d’écologie des langues, comme « cadre explicatif aux mutations que la mondialisation entraîne dans les situations linguistiques » (Calvet, 2019 : 123 ; voir aussi Calvet, 1999), peut-on aujourd’hui prendre acte d’urgences linguistiques ? L’enjeu est de croiser des recherches portant sur les enjeux éducatifs et sociolinguistiques des langues « minor(is)ées » (Akin, 2023 ; Alén Garabato & Boyer, 2020 ; Hambye, 2019), alors que leur valorisation a récemment fait l’objet d’initiatives institutionnelles à l’échelle internationale, et que la thématique s’inscrit au cœur de l’actualité scientifique[1]. De fait, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé l’année 2019 « Année internationale des langues autochtones », puis une« Décennie internationale des langues autochtones » pour la période 2022-2032. À l’occasion du 30ème anniversaire de la Déclaration sur les droits des minorités, l’ONU a réaffirmé l’urgence de protéger les minorités linguistiques et l’UNESCO a mis en avant la nécessité d’intégrer la diversité linguistique dans l’éducation (UNESCO, 2022). Le colloque questionnera ainsi notamment la notion de « langues en danger » (Moseley, 2010 ; Mufwene, 2008) et celle de « revitalisation linguistique » (Boitel, 2021). En France, à l’échelle nationale, des actions institutionnelles ont aussi été entreprises[2]. Il s’agira de les mettre en perspective au regard des besoins exprimés par les locuteurs et les acteurs sociaux concernés. Un Conseil national des langues et cultures régionales a été réactivé en 2022. L’adoption de la Loi Molac[3] en 2021 a suscité de fortes tensions (Urteaga & Blanchet, 2022). Des rapporteurs du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies ont alerté le gouvernement français quant à la décision du Conseil constitutionnel de censurer certaines dispositions de la loi, en écrivant : « Nous craignons que l’adoption et l’application de cette décision puissent entraîner des atteintes importantes aux droits humains des minorités linguistiques en France » (de Varennes, Xanthaki & Boly Barry, 2022). Des États généraux du multilinguisme dans les Outre-mer se sont tenus en 2011, puis en 2021. En 2019, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a souligné la nécessité de renforcer l’enseignement des langues régionales d’Outre-mer et recommandé que « chaque enfant doit avoir la possibilité d’apprendre à lire et à écrire dans sa langue maternelle, au même titre que dans la langue française » (Biaux-Altmann, 2019 : 5). Quels impacts, quels échos ces mesures et recommandations institutionnelles ont-elles ? Ces questionnements sont résolument ouverts à tout contexte éducatif et sociolinguistique, où des enjeux d’ouverture et de reconnaissance de la diversité linguistique sont présents. Ainsi, dans de nombreux pays africains, des gouvernements tentent également, depuis quelques années, avec des fortunes diverses, de réhabiliter les langues africaines et de leur donner un statut dans l’éducation (Agbefle & Aguessy, 2018 ; Puren & Maurer, 2019). Les soubassements idéologiques des multiples appellations – « langues de France » (Colonna, 2020 ; Vernaudon, 2020), « langues d’Outre-Mer » (Bertile, 2020 ; Léglise, 2021), « langues régionales », « langues non-territoriales » (Arlettaz, 2019 ; Lagarde, 2019 ; Viaut & Pascaud, 2017), « langues nationales » (Jourdan, 1982), « langues d’origine » (Bertucci & Corblin, 2007), « langues des immigrés », « langues des migrants » (Deprez, 2021), « langues trans- et intrafrontalières » (Djordjević, 2006), « langues d’héritage » (Peyton et al., 2001 ; Polinsky, 2018) et « langues autochtones » (Carter, Angelo & Hudson, 2020 ; Vaughan & Singer, 2018) – pourront être étudiés au regard de l’analyse de contextes sociolinguistiques et didactiques. Le colloque ouvrira un champ de discussions privilégié autour de la langue des signes française (LSF), reconnue officiellement comme « langue de France » depuis la loi du 11 février 2005 (article 75). Cette reconnaissance des langues signées comme langues à part entières pose la question des accès aux droits qu’elle permet ou restreint aux locuteurs de ces langues (Kusters & Lucas, 2022 ; Lucas, 2001 ; Millet & Kobylanski, 2023). Les communications interrogeront les actions conduites pour intégrer la diversité linguistique dans l’éducation, à l’échelle institutionnelle ou plus localement par des acteurs sociaux (associations, enseignants, etc.) (Anciaux, 2016 ; Boyer, 2006 ; Burban & Lagarde, 2007 ; Colombel & Fillol, 2021 ; Corvaglia & Wolf-Mandroux, 2021 ; Hélot & de Mejía, 2008 ; Mary, Krüger & Young, 2021 ; Nocus, Vernaudon & Paia, 2014 ; Tupin & Wharton, 2016 ; Vandeputte, 2020 ; Salaün, 2013). Le colloque aura aussi pour objectif de mettre en lumière les résistances glottopolitiques à l’œuvre lorsqu’il s’agit de valoriser, protéger, documenter et enseigner les langues minor(is)ées, tout comme les actions – parfois engagées et militantes - en leur (dé)faveur (Lebreton, Leconte et Pradeau, 2022). Ces résistances glottopolitiques pourront être analysées en tant qu’indices des rapports de domination participant à la construction des inégalités sociales (Heller, 2023). Elles peuvent s’enraciner dans l’approche des langues comme problème (Ruiz, 1984), dans les sociétés où le multilinguisme des élèves est tenu pour responsable des mauvais résultats scolaires et de l’exclusion sociale d’une partie de la population. Contrairement à cette approche, les langues peuvent être aussi vues comme des ressources (id.), permettant la construction d’une société pluraliste et le développement d’un multilinguisme sociétal. En effet, les expériences fondées sur l’enseignement des langues maternelles montrent que les élèves qui y participent ont de meilleurs résultats scolaires (Cummins, 2000), une plus grande mobilité sociale (Mohanty et al., 2009), une construction identitaire plus harmonieuse (Skutnabb-Kangas, 2007 ; de Houwer, 2017), une participation démocratique plus significative, une conscience métalinguistique et des capacités plurilittératiées plus précoces (Weth, 2016), un capital social et culturel accru (Bourdieu, 2001), une amélioration de la justice sociale et de l’égalité des chances (Grin, 2006) et, plus globalement, une amélioration des droits humains (de Varennes, 2016 ; Skutnabb-Kangas & Philipson, 2022). Enfin, les communications apporteront une contribution épistémologique et méthodologique sur les problématiques de l’accès à des terrains parfois « sensibles », aux possibilités offertes par les recherches collaboratives (Auzanneau, 2020 ; Miguel Addisu & Thamin, 2020), et aux nouveaux enjeux posés par le mouvement de science ouverte, qui vise une « diffusion sans entrave des résultats, des méthodes et des produits de la recherche scientifique » (MESRI, 2021 : 7). C’est dans cette perspective globale que nous lançons cet appel à communications, autour de trois thématiques, et de problématiques listées à titre indicatif. Le colloque invite à croiser les approches disciplinaires, ainsi que les contextes d’observation et d’analyse. Thème 1 : Éducation et formation - Didactique du plurilinguisme en classe ; - Enseignement bilingue et immersif ; - Entre norme(s) et variations linguistiques en classe ; - Prescriptions institutionnelles et pratiques enseignantes observées ou déclarées ; - Formations initiales et continues des enseignants : programmes, certifications et concours ; - Enjeux de l’évaluation en langues en milieu scolaire ; - Créations pluriartistiques ; - Éducation informelle. Thème 2 : Minor(is)ations et inégalités - Standardisation linguistique des langues minor(is)ées (et impacts pour le monde éducatif) ; - Droits linguistiques ; - Vitalité linguistique et/ou stratégies de revitalisation linguistique ; - Politiques linguistiques familiales ; - Recensements et statistiques sur les langues et leurs locuteurs ; - Insécurité linguistique, micro-agressions linguistiques et glottophobie. Thème 3 : Politiques linguistique et éducative - Reconnaissance et légitimité des langues minor(is)ées : avancées et résistances ; - Approches glottopolitiques « par le bas » et impacts sur « le haut » ; - Qui catégorise et nomme les langues, comment et pourquoi ? ; - Problématisation historicisée des aménagements linguistiques sur des territoires multilingues : effets sur les langues minor(is)ées. [1] Voir notamment le « Congrès International de Revitalisation des Langues Indigènes et Minorées » organisé par l’Université de Girona et l’Université de Perpignan Via Domitia en septembre 2022, qui a donné lieu à un numéro dans la revue Glottopol (n° 40, Pourquoi et comment revitaliser les langues indigènes et minorées ?) ; le colloque international « Éducation, langues minorisées et plurilinguisme : Quels écueils ? Quelles politiques linguistiques ? » qui a eu lieu également en septembre 2022 à l’Université de Mons ; le symposium « Histoire sociale des langues de France : dix ans après » à l’Université Bretagne Occidentale en novembre 2023, ou encore le récent ouvrage dirigé par Carmen Alén Garabato, Henri Boyer et Ksenija Djordjevic Léonard, Ksenija de 2020 sur la standardisation des langues minor(is)ées. [2] Une Cité internationale de la langue française a été inaugurée au château de Villers-Cotterêts fin octobre 2023. La charge symbolique de ce lieu, au regard de la place des « langues régionales » et des « langues de France », pourra être discutée. [3] Loi n° 2021-641 du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, en ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043524722 Références AGBEFLE Koffi Ganyo, AGUESSY Yelan Constant, 2018, Langues, formations et pédagogies : le miroir africain, Observatoire européen du plurilinguisme, en ligne : https://www.cairn.info/langues-formations-et-pedagogies-le-miroir-africain--9782953729993.htm (consulté le 7/11/23). AKIN Salih, 2023, Introduction à la linguistique kurde, Limoges, Lambert Lucas. ALEN GARABATO Maria Carmen, BOYER Henri, 2020, Le marché et la langue occitane au XXIe siècle : microactes glottopolitiques contre substitution, Limoges, Lambert Lucas. ANCIAUX Frédéric, 2016, « L’enseignement bilingue français-créole à l’école primaire en Guadeloupe », dans ERFURT Jürgen et HÉLOT Christine (dir.), L’éducation bilingue en France : Politiques linguistiques, modèles et pratiques, Paris, Lambert-Lucas, p. 52-65. 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