Par intervenant > Marchadour Matthieu

Allophones à l'école française. L'urgence politique de dégrossir l'idée d'autre linguistique
Matthieu Marchadour  1@  
1 : Université Rennes 2 - Laboratoire CELTIC-BLM
Université Rennes 2 - Haute Bretagne : EA7469

Notre communication propose de réfléchir aux multiples enjeux de l'usage du terme « allophone » en contextes scolaires français. Remplaçant, depuis 2012, le terme « non‑francophone », la catégorisation d'allophone désigne des élèves qui « parlent une autre langue ». Fréquemment présentée dans les discours officiels comme la cessation d'une discrimination et du ciblage d'une absence de compétence linguistique pour indiquer désormais la valorisation de la ou des langues dites autres des élèves concernés, cette catégorisation d'allophone ne comporte effectivement plus le préfixe privatif qui rendait ostensible une certaine discrimination à caractère linguistique. En revanche, nous verrons que l'apparente modernité du terme comporte de nombreuses zones d'ombre, et que ses usages en contextes scolaires voilent les problématiques politiques liées aux publics hétérodésignés autant qu'ils dévoilent les positions des locuteurs-acteurs qui y ont recours pour désigner ces « autres » de langues. Comment nomme-t-on les élèves qui quittent les dispositifs UPE2A ? Pourquoi entend-on parler, dans le milieu scolaire, d' « anciens allophones » ? Que nous dit cette étrange formule, « anciens allophones », qui contient à elle seule tous les paradoxes d'une désignation centrée sur l'altérité et la langue, censée valoriser, mais qui n'est pourtant que provisoire ? Plus encore, que nous dit-elle de ceux et celles qui l'utilisent pour désigner des publics peu ou pas francophones et surtout récemment arrivés en France ? Ainsi, nous verrons que, loin de favoriser une certaine mixité ou pluralité linguistique et langagière à l'école, le terme allophone semble bien perpétuer une insidieuse et puissante glottophobie (Blanchet, 2016), déjà trop fréquente dans les contextes éducatifs et de formation en France (Blanchet, Clerc, 2018).

 

Prenant appui sur des observations de terrain et des entretiens, aussi bien avec des enseignants en UPE2A NSA (Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants non scolarisés antérieurement) qu'avec des enseignants ordinaires ayant une expérience auprès d'élèves allophones en inclusion dans leurs classes ainsi que sur notre propre pratique d'enseignement au sein d'une UPE2A NSA, notre réflexion partagera le ressenti de nombreux professionnels de l'éducation scolaire qui livrent leurs doutes et leurs difficultés face à la présence d'élèves qui dérangent et « importunent » (Ebersold, Armagnague-Roucher, 2017), à de nombreux égards, l'école, ses normes et sa langue. En nous aidant des travaux d'Abdelmalek Sayad, qui a largement alerté sur les dangers de la réduction des problématiques politiques que sont la migration et la scolarisation à leur seule dimension technique, nous montrerons qu'il est urgent de saisir la dimension hautement performative d'un terme comme allophone, qui confisque (Mondzain, 2017) d'un même coup la conception de ce qu'altérité, langue et francophonie peuvent vouloir dire.


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