Le crépuscule des langues kanak ? une évaluation circonstanciée de la vitalité des langues de Nouvelle-Calédonie
Anne-Laure Dotte  1@  
1 : Eralo, UNiversité de la Nouvelle-Calédonie

Dès les débuts de la colonisation européenne en Nouvelle-Calédonie (milieu du XVIIIème siècle), la prédiction allait dans le sens de la disparition rapide des langues kanak, remplacée par la langue française (voir La Fontinelle et al., 1989 : 278). Le développement des descriptions scientifiques de langues, à partir des années 1960, conduit les linguistes de terrain, à leur tour, à poser un regard plutôt pessimiste quant à la survie à plus ou moins long terme des 28 langues autochtones si une politique linguistique plus favorable n'est pas mise en oeuvre rapidement (Rivierre, 1985). À cette période, seule l'étude de sociolinguistique de Schooling (1990 : 125), apporte une lecture plus nuancée de la situation : « (...) the passage of time has demonstrated that the vernacular languages are very resilient », mettant en avant le rôle central joué par les réseaux de relations sociales dans la pérennisation des langues kanak malgré les pressions de la langue française. Enfin, quand l'UNESCO publie son Atlas des langues en danger dans le monde (Moseley, 2010), 18 langues kanak en font partie, évaluées à différents niveaux de risque.

Alors, qu'en est-il, en 2024, de la vitalité des langues kanak ? Après plus de 250 ans de contact occidentaux, a-t-on assisté à l'hécatombe linguistique prédite ? Ou bien les langues kanak ont-elles fait preuve d'une exceptionnelle résilience ? et pour combien de temps encore ?

Cette communication vise à proposer une évaluation circonstanciée de la vitalité des 28 langues kanak telles qu'identifiées à ce jour (ALK, 2015). Les neuf critères d'évaluation retenus par le groupe d'expert·e·s de l'UNESCO (2003) sont renseignés par des données à la fois quantitatives (derniers résultats du recensement de la population de la Nouvelle-Calédonie ; derniers chiffres livrés sur la population scolaire, etc.) et qualitatives (rendues accessibles par une connaissance fine et située du contexte, voir Dotte, 2013). Ces critères sont également croisés à ceux établis par d'autres sources : la GIDS (Fishman, 1991) et l'E-GIDS (Lewis & Simons, 2009) afin de constituer une méthode offrant l'évaluation de la vitalité linguistique la plus pertinente et complète possible. L'hétérogénéité des situations propres à chacune des langues kanak rend cette évaluation globale absolument nécessaire à l'heure où des choix en termes de stratégie et de priorité doivent être fait quant aux mesures de revitalisation à mettre en place (voir ALK, 2021).

En décrétant 2022-2032 Décennie Internationale des Langues Autochtones, l'UNESCO vise à interpeler quant à la disparition annoncée de près de la moitié des langues du monde à la fin de notre siècle. Les langues kanak en feront-elles partie ? Les efforts consentis en faveur des langues kanak, notamment depuis l'accord de Nouméa (1998), leur ont-ils garanti un avenir serein ?

Alors que ce colloque interroge l'urgence linguistique, cette communication s'intéresse à répondre à la question de l'urgence qui pèse en particulier sur la vitalité des langues kanak.

(474 mots)

Références

Académie des Langues Kanak. 2015. Les aires coutumières et les langues kanak de Nouvelle-Calédonie [carte]. Nouméa : ALK.

Académie des Langues Kanak. 2021. Espace oralité. Eléments pour une politique linguistique en Nouvelle-Calédonie.

Dotte, A.-L. 2013. Le iaai aujourd'hui. Évolutions sociolinguistiques et linguistiques d'une langue kanak de Nouvelle-Calédonie (Ouvéa, Îles Loyauté). Thèse de doctorat, Université Lumière-Lyon 2.

Fishman, J. A. 1991. Reversing language shift. Theoretical and empirical foundations of assistance to threatened languages. Multilingual Matters.

Lewis, M. P., & Simons, G. F. 2009. Assessing Endangerment: Expanding Fishman's GIDS. Revue Roumaine de Linguistique, 55(2), 103–120.

Moseley, C. 2010. Atlas of the World's Languages in Danger. In UNESCO (3rd ed.). UNESCO Publishing. http://www.unesco.org/culture/languages-atlas/

Moyse-Faurie, C. 2012. Haméa et xârâgurè, langues kanak en danger. UniverSOS, 9, 73–86.

Rivierre, J.-C. 1985. La colonisation et les langues en Nouvelle-Calédonie. Les Temps Modernes, 464, 1689–1717.

Schooling, S. 1990. Language maintenance in Melanesia: sociolinguistics and social networks in New Caledonia. SIL & University of Texas at Arlington.

UNESCO. 2003. Vitalité et disparition des langues. http://unesdoc.unesco.org/images/0018/001836/183699F.pdf


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