Après quarante-et-une années d'Accords de rééquilibrage en Nouvelle-Calédonie (de Matignon-Oudinot 1988-1998 puis de Nouméa 1998-2018), les inégalités éducatives sont toujours aussi importantes selon les chiffres de l'ISEE (2019). L'école inégale décrit et décriée par Kohler et Wacquant (1985) peu avant « les événements » en Nouvelle-Calédonie n'est toujours pas résolue. Malgré les efforts consentis pour adapter les programmes d'enseignement aux réalités culturelles et linguistiques, les promesses de changements ne sont pas au rendez-vous. L'introduction de l'enseignement des langues kanak depuis 1992 dans le second degré, 1999 dans l'enseignement supérieur et 2006 dans le premier degré (Vernaudon, 2013) pouvait pourtant présager d'une amélioration progressive des résultats scolaires des élèves kanak et océaniens. Il n'en est rien. La mise en place des Éléments Fondamentaux de la Culture Kanak (EFCK) en 2017 n'aura pas non plus permis d'inverser la tendance (Minvielle, 2022). Si l'on considère toute adaptation du modèle éducatif français en Outre-Mer comme un leg colonial (Marie Salaün, 2018) et donc sujet « à favoriser les favorisés » (Bourdieu, 1967), quelles peuvent-être les solutions pour garantir « la réussite de tous » qui est une ambition du Projet Éducatif de la Nouvelle-Calédonie (PENC, 2016) ?
Il faut nécessairement que les acteurs de l'éducation de la Nouvelle-Calédonie aient réellement la volonté que les choses évoluent. Car toutes les réformes apportées aux politiques éducatives ne pourront aboutir qu'à la condition d'un investissement sans faille de la part des praticiens sur le terrain (chef.fe.s d'établissement, enseignant.e.s, parents d'élèves, etc.). Au-delà de ces considérations, nous postulons également que toute action d'adaptation des curricula scolaires est vaine si elle n'est pas adossée à une réforme des techniques didactiques, des modalités de transmission de ces programmes d'enseignement. Dans le domaine de la didactique des langues vivantes, c'est le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL) qui régit ces enseignements. Or, les enjeux de circularité européenne sont bien loin des préoccupations calédoniennes. De plus, son contenu est loin de satisfaire les enseignants de langues kanak. Par exemple, les paliers de maîtrise linguistique ne sont clairement pas adaptés aux réalités des locuteurs de langues kanak. Malgré cela, les enseignants s'approprient certains dispositifs qu'ils trouvent intéressant. C'est le cas de l'approche actionnelle.
Il existe 28 langues vernaculaires kanak en Nouvelle-Calédonie parlées par 71°501 locuteurs réparties sur un territoire de 19°058 km2 (Wacalie, 2010). Un tiers de ces langues est aujourd'hui enseigné. Les supports « traditionnels » de transmission de ces savoirs ont permis à ces langues de survivre et prospérer depuis des millénaires avant d'être menacées par la colonisation. Depuis quelques années, quelques chercheurs et praticiens explorent les techniques ancestrales de transmission des savoirs culturels pour les utiliser à l'école. Ils interrogent ainsi l'ethnodidactique et l'ethnopédagogie comme moyen de remédiation des difficultés évoquées plus haut (Rabault & al., 2023, Wadrawane, 2023 & Waminya, 2011). Il s'agit de convoquer des méthodes inspirées du milieu par et pour le milieu. Loin d'être original en soi, ces méthodes ont pu être expérimentées dans les Écoles Populaires Kanak (EPK) s'inspirant à l'époque (de 1985 à 1995) des pédagogies Freinet (Gauthier, 1996). Ce faisant, nous entendons donner d'avantages de consistance à une réflexion en cours sur une pédagogie à l'océanienne (Razafi & al., 2023).
Il s'agit alors d'investiguer ces médiums de transmission « traditionnelles » pour les adapter à l'espace pédagogique contraint et spécifique de l'école. Cette communication est l'occasion pour nous de rendre compte du travail réalisé par les enseignant.e.s. mobilisant ces pratiques dans le cadre de l'enseignement des EFCK, des langues kanak mais également dans d'autres disciplines comme les mathématiques, le français ou les sciences.